Stevan,
C’est le prénom d’un tout jeune gynécologue qui m’avait soignée pour une urgence dans une permanence médicale et du quel je me suis très rapidement sentie proche tant par l’empathie dont il a fait preuve à mon égard que par ses questions très ciblées et ses explications rassurantes face à mes symptômes.
Arrivée récemment à Genève, je n’avais pas encore de médecin attitré et avais conservé précieusement son nom.
Lorsque mon état m’est devenu insupportable par les douleurs ressenties dans mon bas ventre et mes lombaires ainsi que par des saignements qui étaient toujours aussi abondants mais qui augmentaient dans leur répétitivité, j’ai alors recherché ce médecin et pris un rendez-vous à son cabinet de la Rue Malombré.
Son cabinet ne ressemble à aucun autre, des très belles statues de bustes et visages de femmes ornent des meubles de style romain, les fauteuils sont très confortables et on a l’impression d’arriver chez soi lorsqu’on passe la porte.
Au fil de ses auscultations, il devient l’un des hommes les plus importants de ma vie. Il prend à bras le corps ma cause et fait de ma bataille pour devenir maman, la sienne. Il est disponible comme le serait un grand frère, répondant à mes appels et inquiétudes sans faillir et avec une bienveillance constante.
Je lui ai expliqué que mes saignements duraient depuis 6 mois sans discontinuer et que les douleurs s’accentuaient de plus en plus les rendant insupportables quel que soit le médicament que je prenais pour les calmer.
Nous avons alors fait le bilan des 7 années passées depuis que nous nous étions rencontrés et je l’ai informé m’être rendue à plusieurs reprises en urgence au service maternité de l’hôpital universitaire de Genève parce que je saignais tellement que je me réveillais dans une mare de sang, que chaque rapport sexuel était douloureux et qu’en me relevant, des gouttes de sang maculaient le sol derrière moi, que je devais toujours avoir sur moi un lot de serviettes hygiéniques, lingettes humides et habits de rechange pour palier aux saignements intempestifs … que je ne pouvais plus m’étirer tant j’avais mal et que les douleurs pouvaient également survenir à n’importe quel moment du jour et de la nuit.
Il a ainsi appris que l’une des médecins-gynécologue m’ayant reçue et auscultée m’avait informée que je n’avais absolument rien et qu’il conviendrait que mes rapports soient plus « soft » sans sourciller devant mon air incrédule, me demandant comment, dans mon état, cette femme médecin pouvait imaginer que ces coulées de sang puissent provenir d’une sexualité inappropriée avant qu’elle n’enfonce le clou en disant à mon conjoint « elle n’a absolument rien et si elle continue à se plaindre vous devriez l’emmener plutôt aux urgences psychiatriques », faisant fi de mes symptômes et de mon état clinique.
Je lui explique également qu’une autre fois, une autre m’a fait attendre plus de 5 heures assise sur une chaise dans la salle d’attente avant de rire en voyant mon dossier médical pourtant fourni et de me faire une écographie du ventre et non pas vaginale, sans vérifier l’intensité des saignements, et concluant à une affabulation de ma part tout en me disant qu’elle a autre chose à faire que de perdre du temps avec moi parce qu’elle est attendue pour partir en week-end et que je n’ai qu’à me rendre aux urgences générales de l’haise que finalement on avait procédé à une endosatin et un très jeune médecin interne m'inique qui a refait la mecomprendre maisôpital. J'étais alors partie à pied dans le bâtiment général marchant doucement au rythme de ma douleur et arrivée dans une nouvelle salle d’attente, je m’étais effondrée en sanglots. Une infirmière bienveillante avait immédiatement alerté le gynécologue de garde à qui j’ai supplié de croire que je n’en pouvais plus, que je ne mentais pas et que j’avais peur devant tout ce sang et ces douleurs. La doctoresse devait partir en week-end et que je pouvais le comprendre mais que pour ma part j’avais besoin d’être soignée.
Il avait procédé à une première écographie du ventre et avait immédiatement appelé le chef de clinique qui avait refait la même écographie avant de continuer l’examen par une éco vaginale. Les deux m’avaient alors expliqué que j’avais un kyste de la taille d’une orange vers l’ovaire gauche et qu’il fallait m’opérer en urgence. Je l’avais alors entendu appeler la doctoresse de la maternité et hausser très fortement le ton. Une ambulance était ensuite venue me chercher pour me ramener à la maternité où je n’ai plus eu le droit de marcher en attendant de passer au bloc.
Opérée durant la nuit, je m’étais réveillée au petit matin et un très jeune médecin interne m’avait expliqué, mal à l’aise, que finalement on avait procédé à une laparoscopie [examen permettant de visualiser la cavité abdominale] en présence de la fameuse doctoresse qui était finalement revenue assister à mon examen plutôt que d’aller à son week-end programmé et que je n’avais rien. J’étais perplexe et fatiguée. J’avais le ventre enflé par les gaz utilisés pour l’opération et n’avais qu’une hâte, rentrer chez moi. Mes parents avaient alors parcouru plus de 100 km pour venir me chercher et me ramener à la maison complètement dépitée.
Très surpris par mon récit et tout autant inquiet, il m’envoie faire un IRM [technique permettant d'obtenir des images à partir de la résonance magnétique nucléaire] et le radiologue me renvoie immédiatement chez lui, qui m’attend, dit-il, pour me transmettre les résultats et poser le diagnostic.
Je souffre d’une adénomyose utérine profonde [infiltration des cellules de l'endomètre (muqueuse utérine) dans le muscle de la paroi utérine (myomètre), entraînant un épaississement du myomètre et développant des kystes qui se sont développés par foyers, envahissant l'ensemble du muscle utérin].
Les kystes étaient alors si importants et nombreux qu'ils avaient entraîné un épaississement et une déformation de la paroi de mon muscle utérin en donnant un aspect globuleux à l'utérus et engendrant des saignements excessifs pendant les règles ainsi qu’en dehors de la période des menstruations, appelés "ménométrorragies" et qui sont dues au fait que le tissu endométrial qui ayant envahi le myomètre se comporte comme s'il était dans son environnement normal, se remplissant de sang gonflant sous la pression. Ce phénomène expliquait les importantes douleurs au niveau du bas-ventre et de mes lombaires.
La situation est grave et une nouvelle opération, inévitable, sera faite par le Professeur Dubuisson, grand spécialiste de ma maladie, le 15 décembre. Contre son premier avis et sur une forte pression exercée sur lui par Stevan et moi, il me laissera l’entier de mon appareil génital puis il prendra le soin de venir dans ma chambre d’hôpital en priant ma maman de sortir pour me faire part de ses constatations qui sont accablantes, mon utérus est en bien plus mauvais état que ce qu’il pensait trouver et c’est indécent et dangereux de ne pas l’avoir retiré.
Je rentre chez moi peu de jours après mais les douleurs ne s’estompent pas et lors de l’examen de contrôle qui est prévu au mois de février, elles sont encore très présentes. Je m’entretiens alors à nouveau avec le Professeur Dubuisson et lui fais promettre qu’il effectuera une endoscopie [méthode d'exploration visuelle médicale de l'intérieur d'une cavité inaccessible à l'œil. L'instrument utilisé, appelé endoscope, est composé d'un tube optique muni d'un système d'éclairage qui couplé à une caméra vidéo, peut retransmettre l'image sur un écran] mais qu’en aucun cas il ne m’opérera à nouveau, il me rassure m’expliquant même que je ne suis pas « préparée » pour une opération, mais qu’il désire faire l’examen sous anesthésie générale parce que le contrôle doit être fait minutieusement, sans que je ne puisse bouger et qu’il peut être long et douloureux.
Je rentre au bloc peu après 7 heures du matin et je me réveille face à une pendule qui indique près de 11h30, je pose ma main sur mon ventre et sens un gonflement que je reconnais de suite et de larges pansements, j’éclate en sanglots et l’infirmière appelle le Professeur qui vient immédiatement m’expliquer qu’il n’a pas eu le choix, que mon utérus était perforé et qu’il a dû le recoudre de toute urgence, que nous avons eu une chance providentielle d’avoir effectué cet examen, faute de quoi on aurait pu craindre le pire.
Nous convenons tous les trois qu’il faut entamer immédiatement la préparation pour une fécondation in vitro, que je ne peux pas décemment laisser mon corps reprendre un cycle menstruel, il faut le mettre au repos urgemment.
Phase I
Ménopause artificielle,
Lors du premier rendez-vous d’une très longue série, je m’allonge sans trop d’appréhension sur la table d’auscultation et ne regarde pas la seringue qu’il approche de mon ventre avant de piquer et m’injecter le produit tout à coup une douleur irradie mon ventre jusqu’à mes pieds et me laisse sans voix. Je l’entends me rassurer « ne t’en fais pas, c’est tout de suite terminé », je hoche la tête docilement alors que des larmes pointent sur mes cils et même lorsque le matériel est retiré, la douleur ne s’en va pas et continue à se diffuser en moi dans un inconfort difficile a supporter.
Très rapidement je me rends compte que je prends du poids malgré une alimentation équilibrée, de fortes migraines rendent ma concentration difficile, des bouffées de chaleurs commencent à m’handicaper durant la journée et mois après mois elles s’intensifient jusqu’à paralyser mes journées et mes nuits. Elles commencent par envahir mon visage puis descendent par mon torse et mon dos, comme si je m’approchais soudainement d’une source de chaleur trop forte qui me fait transpirer à grosses gouttes avant de me laisser totalement frigorifiée. Très vite ces épisodes s’intensifient jusqu’à m’empêcher de dormir tant ils se multiplient jour et nuit.
Mon humeur s’altère et je sens une grande tristesse et une fatigue extrême. Je subis une sécheresse vaginale si grande qu’elle rend douloureux mes gestes du quotidien et, chaque mois, au même moment de mon cycle, je me rends à nouveau chez Stevan pour une nouvelle injection dont désormais je connais et la douleur, et les effets secondaires.
La ménopause artificielle a une multitude de contrecoups comme le manque de libido et lorsque je prends sur moi pour satisfaire mon partenaire, la sécheresse rend les rapports aussi agréables que si on limait ma chair à vif avec du papier de verre et les lubrifiants ne changent pas grand chose au problème, ils blessent d’autant plus mes tissus sacrifiés.
J’essaie néanmoins de garder une vie sexuelle harmonieuse étant donné que cela est très important pour mon compagnon qui est déjà allé la satisfaire ailleurs. Dans notre intimité je serre les dents et sens des larmes rouler sur mes joues et humidifier mon oreiller contre lequel, une fois l’acte terminé, je me réfugie et m’accroche, tentant de respirer et expirer profondément pour soulager ma douleur et ma tristesse.
La phase une annonce la couleur, une fécondation in vitro est dénuée d’amour, de romantisme, de spontanéité et de naturel.
J’entame la phase 2 avec appréhension et dans une mélancolie proche du désespoir.
Phase II
Stimulation ovarienne,
L’aiguille est bien plus fine et je n’ai plus besoin de l’assistance de mon médecin. L’homme qui partage ma vie s’improvise médecin et chaque jour il saisit ma peau pour m’injecter le liquide stimulant pour mes ovaires.
Lors de l’administration la douleur est moins vive mais le fluide brule tout de même et jour après jour des hématomes viennent colorer mon ventre déjà enflé par la phase une.
Les bouffées de chaleur s’espacent mais ne s’arrêtent pas tout à fait, les céphalées s’accentuent, je me sens très nerveuse et dors toujours aussi mal. Chaque matin je retrouve de plus en plus de cheveux sur ma brosse et les forts saignements reprennent au rythme de mes seins qui enflent et me font mal.
Chaque jour je me rends chez Stevan pour une échographie visant à suivre l’évolution de mes follicules. Le traitement fonctionne bien mais dure plusieurs semaines et un matin, je suis prise de nausées et vomissements violents et à l’échographie on voit clairement beaucoup trop de follicules à chaque ovaire et de taille trop importante. Je fais une « hyperstimulation ovarienne sévère » [complication rare mais potentiellement grave de la stimulation ovarienne], nous suspendons le traitement immédiatement.
Me voici donc avec mon ventre marbré de bleu, de vert et de jaune, très enflé et douloureux mais désespérément vide dans l’attente que mon corps se calme et récupère pour reprendre la cure.
Durant ces longs mois le couple survit. Lui se sent coupable de m’infliger toutes ces injections, les contrôles, les douleurs physique et morale tout en voyant mon corps se transformer vilainement. Moi qui ai tant aimé mon corps, je le vois s’enlaidir et ne le reconnais plus. Je suis de plus en plus pudique, j’ai de moins en moins envie de lui et une énorme distance s’installe.
Faire un bébé devrait être un acte d’amour et de plaisir mais l’adénomyose en fait un calvaire rompant la communication petit à petit et voyant chacun s’enfermer dans ses souffrances et son ressenti.
Financièrement tout cela est très lourd étant donné qu’en Suisse les fécondations in vitro et ses différents traitements ne sont pas remboursés. Au final il en coûtera plus de plus de Frs 30'000 étant donné qu’il nous faudra reprendre le processus depuis le début à plusieurs reprises.
En septembre, après une énième stimulation, mes follicules ont la taille adéquate et sont prêts, je reçois alors une dernière injection d’une hormone spécifique qui déclenche l’ovulation et 36 heures plus tard, je me rends en France voisine pour une ponction faite à l’aide d’une aiguille à travers les parois de mon vagin qui recueille les ovocytes par aspiration et sous anesthésie générale. Je me repose quelques heures avant de partir.
Durant ce temps, mon compagnon se rend dans le centre pour faire don de son sperme et il ne m’en a jamais parlé mais je suppose que ça a été une étape assez difficile pour un homme de se retrouver dans une petite pièce avec quelques revues pornographiques et un petit gobelet prévu pour qu’il y verse sa semence, puis une fois sa petite affaire finie, il sort et remet le gobelet à une femme qui sait alors que ce dernier vient de se masturber.
Lorsque dans les 20 h qui suivent, les spermatozoïdes sont mis en contact de mes ovocytes, ils ne percent pas la membrane et aucun ne se féconde démontrant, d’après le corps médical, une stérilité masculine.
Le laboratoire procède à la technique « ICSI » consistant à sélectionner un spermatozoïde de bonne qualité et à l’injecter directement dans l’oocyte à l’aide d’une pipette faisant ainsi passer notre résultat de 0 à 50 %.
Stevan est mon soutien indéfectible et ma lumière dans ce tunnel. Je crois en lui plus qu’en moi-même et mon répit porte son prénom. Il n’est pas médecin, ou du moins pas seulement. Il est mon pilier et mon espoir.
Ainsi, nous nous retrouvons avec quelques 4 ou 5 embryons fécondés et sommes prêts pour phase suivante.
Phase III
Le transfert d’embryons,
Quelques jours plus tard, nous nous rendons au centre pour que soit effectué le transfert d’un seul embryon, délicatement déposé dans mon utérus à l’aide d’un fin cathéter. Il avait été rapidement décidé qu’il fallait éviter une grossesse multiple.